Chronique d’une pandémie 10

   De Gaulle disaient que les Français étaient des veaux. Avait-il vraiment tort ?  Je ne pense pas. Et attention, de « bovidé » à « covidé » il n’y a qu’un pas. Reprocher au gouvernement de ne pas anticiper alors que nous sommes confrontés à une maladie qu’on connaît très mal, c’est comme si les marins avaient reproché à Magellan de naviguer à l’estime en longeant les côtes alors qu’il entrait dans une région inexplorée, donc non cartographiée, d’où les errances dans les canaux de ce qu’on a nommé par la suite la Patagonie. Décidément, oui, les récriminations des Français sonnent parfois comme des cris de bovins et l’instinct grégaire – Il faut le dire – ne va pas dans le sens de la sécurité sanitaire, c’est le moins qu’on puisse dire..
Si les Français veulent que le gouvernement ne les prenne plus pour des imbéciles, il est urgent qu’ils arrêtent de faire les imbéciles. Dès la fin du mois de juin, la plupart des gens qui peuplent l’Hexagone ont voulu jouir au maximum des joies et des plaisirs de l’été sans se soucier du lendemain : le résultat est là. Et les comportements ont peu changé. La première vague n’a en rien modifié  la cartographie mentale des indigènes-consommateurs que nous sommes. Jeudi soir dernier, la veille du reconfinement, les citoyens, fort de leur droit, se sont littéralement rué dans les cafés, les bars et les restaurants, histoire de bien s’entrecontaminer une dernière fois avant la semi-réclusion de minuit. La malédiction de nous autres, hommes et femmes de la post-modernité, c’est qu’on veut toujours tout, tout de suite. On ne veut se priver de rien. Qu’on nous incite à la prudence, on s’en moque ;  qu’on nous impose la prudence, on crie à la dictature. Mais à force de ne pas vouloir se priver du non-essentiel, on finira privé de l’essentiel c’est-à-dire de la vie. D’autre part, la volonté forcenée de sauver l’économie est la preuve par neuf – s’il en était besoin – que nous vivons dans un monde où les besoins sont créés par une industrie et un commerce obsédés par le profit. La machine étant lancée, il faut la nourrir coûte que coûte de combustible en lui sacrifiant les gens  comme on le faisait avec les enfants en l’honneur du dieu Moloch dans l’Antiquité.
« Restreignons-nous maintenant afin de sauver Noël » disent nos gouvernants. La perspective est effrayante : dès la mi-décembre sans doute, on laissera les masses se ruer pour un potlatch de fin d’année qui multipliera en une semaine les contaminations dans les familles qui feront des centaines de kilomètres pour aller s’envoyer des postillons autour d’une dinde et se filer des cadeaux amplement manipulés pour être empaquetés et disposés autour d’un sapin… En parlant de dinde, de cadeau et de sapin, les dindons de la farce seront tous ceux qui finiront dans une caisse en sapin à six pieds sous terre :  tu parles d’un cadeau !

                                                                                          Kynos