CHRONIQUES D’UN PASSE POSTERIEUR

CHRONIQUES D’UNE PANDÉMIE 1 

L’homme, s’il n’existait pas, faudrait surtout pas l’inventer !

  On est là depuis deux ou trois siècles – depuis les Lumières du XVIIIe siècle et, plus tard, le Scientisme du XIXe – à se flatter, à se vanter, à pavoiser : «  On a quand même inventé la poudre, la télévision, le fil à couper le beurre, le tire-bouchon, l’ordinateur, l’automobile, la couverture chauffante, l’avion, le sous-marin nucléaire, le slip élastique, le vibro-masseur, le scanner, l’éplucheuse à patates et les robots. On est allé sur la Lune, on a conquis toute la Terre, on va, avec notre science, tout découvrir des mystères de la Nature, pour pouvoir la reconstituer quand on l’aura entièrement bousillée, la Nature. On va trouver toutes les solutions, tout résoudre, tout bidouiller, tout rationaliser. Faut rester positif et battant, mon petit François-Xavier, foncer dedans et s’en foutre plein les fouilles par tous les moyens possibles. Le capital vaincra, le marché régulera, le progrès triomphera. La Terre est une ressource formidable qu’il faut exploiter à l’envi. Mais non, Ma’am’ Lebrun, ça va pas s’épuiser, mais non !  Et puis même, d’ici là on sera déjà sur la Lune, d’où on pourra aller coloniser Mars, c’est évident. Nous allons gagner car nous sommes les plus forts, nous les humains, l’espèce élue… »

   Élue par qui ?  Je me le demande ! Longtemps, on s’est cru tellement intelligent, tellement doué, tellement invincible !

   Or, à l’échelle de l’infiniment grand – Pascal le disait déjà au XVIIe siècle – nous ne sommes que poussières. Qu’on se prenne dans la tronche, par exemple, un orage solaire de magnitude normale et il ne restera plus rien de nous !  Et, à l’échelle de l’infiniment petit, nous ne sommes que des proies faciles, le coronavirus qui tente de nous coloniser en est la preuve éclatante !  Cette pandémie – phénomène pourtant récurrent au cours de l’Histoire, mais dont nous n’avons rien appris –  est une révélation. Notre espèce est très fragile parce que notre civilisation est basée sur du terrain mouvant  (mondialisation, numérisation, improvisation). Aussi devrions-nous nous écraser un peu, mollir, faire profil bas, diminuer en morgue et en nombre, sinon c’est la Nature qui s’en chargera. Et encore, ne nous plaignons pas, cette fois-ci :  c’est une petite pandémie que nous avons là ! Une maladie peu létale ! Un exercice d’entraînement ! Un avertissement de l’écosystème ! Je ne suis pas devin, loin de là, mais ce qui nous pend au nez, dans un avenir assez proche, c’est une vraie pandémie dévastatrice et vraiment fatale, celle-là, de style « peste pulmonaire », « grippe espagnole » ou « Ebola » qui nous décimera, paralysera irrémédiablement notre économie mondiale et détruira le château de cartes qu’est notre civilisation post-moderne.

   Si nous avions seulement pris la précaution de penser nos choix de société, de mesurer nos orientations politiques et écologiques, d’agir avec sagesse en évitant les conflits, les massacres, les génocides et les guerres mondiales, mais non, nous avons continué à perpétrer nos exploitations, nos exactions et nos déprédations. Nous sommes aussi frustes, aussi cupides, aussi primitifs, aussi instinctifs et aussi prétentieux qu’en 10000 avant J.-C.. Mais nous avons la technologie en plus, ce qui nous rend vraiment pénibles et dangereux pour les autres espèces et pour la planète tout entière. Elle n’en peut plus, la planète : on lui échauffe les hémisphères et les pôles, à la planète !

   Avoir engrangé du savoir pendant si longtemps et n’avoir rien appris !  Pauvre humanité ! Quelle espèce vaniteuse et lamentable ! Nous méritons ce qui nous arrive !

                                                                                                Kynos

I.- Englués dans la Toile

Calligraphe333

Toute l’Europe s’en foutait… pas un qu’aurait donné son temps, son pognon et encore moins sa vie pour rien sauver, le moindre canton de Boisiland, les marches de Krakanie, la bibliothèque de Tartafielo, les gosses du Bambwana ! on avait d’autre chose à faire vraiment, des affaires plein partout, sur le réseau numérique, ça regorgeait : il y avait des milliards à se faire pourvu qu’on ait l’audace… on passait son temps à surfer pendant que les autres ils occupaient l’espace à coups de poker de plus en plus gonflés… soit en annexant des territoires sous des prétextes divers et faiblards, soit en phagocytant des sociétés en bourse à la manière des épées de Wall Street, avec tellement de doigté que ceusses qu’on était en train d’acheter ne sentait rien venir, même quand ils étaient pénétrés profond… ça se négociait entre gens du même milieu, le milieu du dessus, le haut du panier de crabes… la crème de la merde…

C’était la période florissante du néo-capitalisme en wifi avec la vidéo-surveillance à distance, 1984 trente piges plus tard, sans Big Brother… plus besoin… Les gens d’ici et d’ailleurs, c’était plus le chef bandant et terrorisant qu’il voulait adorer et abhorrer en même temps, non seul leur suffisait le pur divertissement, l’émiettement de la conscience… C’était ça qui les animait et les motivait… la fête toutes les cinq minutes… jouer à outrance, tripoter leur écran, caresser le cristal liquide, le plasma et tout le tintouin… on a l’air intelligent du moment que c’est le dernier machin qu’est sorti, 4G, 6G, pan-G, dérive des continents, dérive de l’esprit… ah, on s’amusait ferme, fallait voir, à communicationner à tour de bidule tactile… Touche-moi, touche-moi… Montre ta face sur l’e-book… étends-toi sur la toile qu’on te voit tout entier à poil… Oui, oui, comme ça… Ainsi, tu n’auras plus de secret pour personne… tu auras des millions d’amis qui vont te bouffer ton image à jamais que tu t’en remettras pas de sitôt… tu ne t’appartiens plus, tu es la proie de l’araignée qui hante la toile, tu es un effecteur de la grande matrice : il faut la voir baver l’arachnide quand elle pense à ton potentiel de branchement à tout le réseau… qu’elle va pouvoir te pomper ton énergie, ton mental, ton physique, ton fric et ta virtualité économique… tu vas éclater sur la Toile et te disséminer dans tous les recoins à bitoniaux… l’homme électronifié, informaté, dissémantisé… tu n’es plus toi tout seul, tu es nous tous et on te nie pour t’exploiter ton bastringue intérieur… Il est plus possible d’être seul… la paix foutue de jadis, c’était un trésor inestimable… ou alors retire-toi dans ta longère et coupe tous les circuits, tu vas voir comme ça fait du bien… la télématique, c’est le plus grand instrument de torture de la conscience humaine : t’en sors pas indemne du tout… TV, ordi… plaquette… aïe-phône… smart-fion : même plaie… même horreur… que des miroirs aux alouettes pour bien t’enfumer le ciboulot ! te voiler la face et celle des autres, te tirer hors de ton coin, te rendre étranger à ton toi, à ton moi, à ton ça, à ton surmoi… comme ça, à force d’être connecté, t’es réduit à un sous-moi, même plus capable de penser droit, de penser libre, de penser tout court… Au lieu, tu twittes, ah pour twitter, tu twittes, tu pérores, tu blablattes, tu dégoises sans fin ni fin… en angliche, twit ça veut dire un peu couillon, beaucoup même ! mais le sens des mots n’a plus d’importance, c’est dire ! L’important, c’est de déblatérer n’importe quoi n’importe où avec n’importe qui, pourvu que ça se vende, que ça se traduise par un flux récupérable, que ça produise du débit, très haut débit, hautement creux, hautement vide, hautement vain… Et tous alors, comme des moutons, des veaux, des larves, on sera interconnectés, mon fils ! interconnardés, oui, juste avant la prochaine guerre qui va se faire en connexion létales : je t’emprune à l’écran, je t’emproute vraiment… qui verra la différence entre la fiction du jeu piégé et la réalité du terrain miné ? O beauté technologique de notre temps ! O sortilège foireux de la science absolue ! O minable foi en le progrès indéfectible et indiscutable ! Quel philosophe va se dresser pour crier « Au menteur ! », dénoncer le scandale, désaper la félonie, mettre à nu la corruption des foules à coups de poudre aux yeux ? Où sont les Socrate, les Voltaire, les Nietzsche de notre époque môderne ? Aux oubliettes de l’Histoire, à la trappe du père Zébu, dans le gommoir automatique du Grand Supputateur Zentral… plus grand monde ne s’en souviendra bientôt, de tous ces gens, ces fiers gaillards bien finauds, qui voulaient éveiller les consciences de leurs semblables ou les empêcher de pioncer bêtement… La comprenette, c’est plus à la mode, sauf pour construire des tours et des ponts, des centrales et des prisons, des bombes et des avions… Nous sommes dans le règne de la matière toute-puissante… Gare aux espèces d’espèces qui nous barrent le chemin : la planète, quoi, la planète ? On va vous la changer, mes téléphonés, mes connectés, mes tablettés à outrance, la planète, en un pôle industrialo-économatique, la métamorphoser en complexe titano-rentable… Donnez-nous un siècle à peine… Vous allez voir le spectacle en multimension diffusé dans le cosmos tout entier… Y a pas à tortiller, faut que ça se fasse… Le nid d’araignées l’exige ! Ca se fera… on a plus le choix… c’est ça ou la misère… si-si, mes zigues empucés, faut croire ce qu’on vous dit, nous qu’on est les experts ! Zombifiez-vous de vous-mêmes en achetant Super-Net, la machine qui vous explose sur la Toile ! Et en plus, vous allez payer pour ça, c’est jouissif, non ? Vive la pensée simple et unique !

                                                                                                       Kleitos

II.- Soliloque de crise

Je viens de me passer un coup d’eau fraîche sur la trogne et tout en essuyant mes binocles, je médite un tantinet… non, mais, que je me dis, de qui se moque-t-on ? C’est pas les sujets qui manquent, les sujets d’insatisfaction… Exemple, emblématique ! Il y a pas si longtemps, comme qui dirait naguère, certains investis d’en haut, soucieux d’apaiser le bon peuple de France et de Navarre, ont envisagé d’équiper des écoles de portiques pour détecter les objets métalliques afin d’éviter les agressions contre les enseignants. Comme si ça allait y faire quelque chose ! … pas le bon remède ! oui, l’école est malade, mais incurable déjà peut-être, gangrenée à outrance, c’est pas en surveillant la peau qu’on va lui préserver ses organes vitaux !… Le problème de ladite école, c’est pas là qu’il est seulement dans la violence apparente, il faut le savoir, en vérité… ah, les hypocrites, les fourbes, les malhonnêtes ! Ils voudraient nous faire croire que confisquer trois surins et deux poings américains, ça va guérir la pestiférée, dis-donc ! Le couac, c’est qu’on a fait de la grande taule « Educnat » un ramassis de fainéants. Y en a qui ont dit un jour : « Gardons-les au chaud, les immatures, jusqu’à 17-18 ans et donnons-leur le bac en vrac, sans distinction ! Pendant ce temps-là, au moins on aura la paix du côté des niards et du côté de leurs géniteurs… Et comme il y a plus de service militaire, après, ils iront passer une année en fac’… pour pas qu’ils déboulent trop tôt sur le marché du travail où qu’il y en justement pas, de travail, justement, à leur donner, aux éphèbes… Et les voilà en fac, la fleur au stylo, le portable sur les genoux, le téléphone à l’oreillette, la prise USB dans la nuque et l’espoir dans la tronche, le sale espoir… Mais, bientôt, c’est l’offensive, la vraie ! Confrontation réelle avec l’ennemi, bicéphale, tout à fait inconnu jusqu’alors, la difficulté et l’effort ! Cette ordalie, cette épreuve du feu de l’esprit, ils étaient pas prêts pour ça ! … Et là, le résultat, c’est Verdun, La Somme et la Marne réunis… ça dégomme, ça déserte, ça s’égaille… Des pertes énormes qui rejoignent les cohortes de chômeurs sans le moindre papelard certifiant un quelconque niveau d’éducation… D’aucuns, bien engoncés dans le cuir de leur officine, radotent bien fiers : « B’alors, quoi ! Pendant ce temps-là, ils nous ont bien fichu la paix : y sont pas sur les statistiques du chômage et les parents, anesthésiés propre, vivent dans l’espoir de les caser quand même ; d’autant que les parents, on leur a délégué des responsabilités dans les conseils de ceci et de cela pour les amadouer… De grosses bribes de pouvoir qu’on a enlevées petit à petit aux profs… d’ailleurs, c’est bien fait pour eux, ces pisse-vinaigre, ces empêcheurs de gouverner, ces trublions éternels ! ». Les autres, ils peuvent que se bouffer les doigts en gémissant comme des veaux.

Toujours est-il que, dans la manœuvre politique directement inspiré d’un Machiavel atteint d’idiotie amaurotique, les profs, dépossédés de leur prestige, de leur mission et de leur statut, ils ont plus d’autorité aucune… Ni savoir ni pouvoir ! Par-dessus le marché, comme les potaches, tous ils passent en classe supérieure, le turbin – exclu de la catégorie « valeurs essentielles » – est plus au centre des préoccupations des useurs de bancs… Les pas-encore-mûrs, ils sont légion à avoir bien entravé que même si tu glandes rien, tu « passes » quand même… Et le prof alors, dans ces conditions, il a beau ânonner « Le travail éloigne de trois grands maux : le vice, l’ennui et le besoin. », tu parles, Charles ! Il est plus crédible, le diplômé ! Il a plus qu’à aller se rhabiller avec des oripeaux de bouffon et, s’il veut pas, y en a qui se croient investis de la mission de le ramener à la raison ambiante à coups de cutter, de battes ou de gros pétard… On les tient plus… pas étonnant… Ma grand-mère le disait déjà : « Sans carottes ni bâton, qui peut faire avancer un âne ? ».

                                                                                               Diogène Rictus

III.- INEGALITE DES FORCES

Pour Mamevraz, y avait plus moyen : ils l’avaient plombée sec avec du gros calibre, comme pour les sangliers…même que sa face, elle était pas reconnaissable, pas recomposable, non, plus vraiment… C’était clair, on voulait plus rien savoir de la femme qu’elle avait été, morte ou vivante… effacement total, qu’on se le dise, pour l’exemple ! C’est ça qu’ils avaient décrété, là-haut…
La grippe porcine, comme dans le roman de John Le Carré The Constant Gardener, c’étaient les labos pharmaceutiques qui organisaient la pandémie pour s’en mettre plein les fouilles : elle avait eu la preuve de tout cela, comme la Tessa du film, mais là, la différence, c’était que dans le vrai que c’était, dans le réel, très lourd, très lourd, le réel… Il fait mal, le réel, quand la manivelle, elle revient en pleine poire et broie les chairs et les os…
Qu’elle ait frayé avec le pharmacien international de la rue de Morves, c’était clair, qu’il fût impliqué était moins clair ; de toute façon lui aussi, il était muet, mort maintenant, ou tout comme, comateux en phase terminale… débranche pour cause d’accident de voiture… en rase campagne, pas de témoin, pas de coupable, pas de preuve de rien… un accident prétendu, ouais, mais comment savoir jamais ? Comment prouver… ? seul Dieu… et encore !
La question était de savoir comment lutter contre ? Impossible : ces gens-là, trop rusés, trop organisés, trop puissants quand même… Attirés par l’argent comme c’était pas possible…Fallait pas abuser ! Dans les fictions, on pouvait tout faire, mais dans le monde vrai, sûrement que non ! Eh ben si ! Il y avait des organisations si riches, si structurées, si bien ramifiées que nul ne pouvait plus les contrôler ! Elles échappaient, comment qu’ils disaient, aux pouvoirs étatiques… C’était foutu… Jamais plus la démocratie, alors ? On pouvait pas s’imaginer tant de cupidité, tant d’immoralité, tant de haine ! …
Empêcher ça ? C’était titanesque… Multinationales et labos pharmaceutiques, c’étaient bien eux qui manigançaient tout, pour s’en mettre plein les fouilles… C’était clair ! On les entendait clamer…Savoir et pouvoir, même combat… Energie, armes, santé, des mines d’or ! Nucléaire, machines-guns et vaccins anti-ceci-anti-cela, ouais, renvoie la monnaie, on est preneurs ! Les empêcheurs de gagner tout seuls un max de pogn’ par ici… On va te les assaisonner, les gueux, façon neutralisation bourre-pif, non, mais tu vas voir… en un tournemain, à la sulfateuse, ou bien plus discret, manière parapluie bulgare en plus sophistiquant, curare et botula synthé ! Olé, caramba et tarentula ! 1 millicentimètrekioube dans la nuque et tu crèves pépère en moins de deux : sans trace, c’est ça la technique moderne, mon prince, ni cri ni trace… On règle ça au fond des vallons… Tu t’endors, comme si t’avais jamais dû te réveiller, et t’as pas parlé parce qu’avant, z’ont pris la précaution de te bâillonner les médias niouwave ! tout deleted, mec et… couic par en-dessous ! ! ! Ni vu ni connu, allez vous rhabiller, y a rien à voir ! C’est comme ça qu’on règne sur la planète, nous les nouveaux seigneurs de l’industrie! Et blabla…

Y a au moins un truc que chacun peut faire, c’est de dire : « Non, je ne donnerai pas ma semence ! »

                                                                                                            Kasin Gwano