PHILOSOPHIE

Le doigt et l’œil

De l’humanité, de l’inhumanité : de la vengeance et de la justice
Le mal existe dans le monde de façon naturelle : il est ce qui fait souffrir les êtres. Avoir mal est une expérience vécue à la fois par les bêtes et par les hommes. Le malheur peut toucher la vie même : n’importe quelle catastrophe le prouve (tremblement de terre, incendie, tsunami etc.)…Mais le mal naturel, c’est aussi la maladie et la mort, celles de nos proches, et les nôtres… Le mal naturel, c’est tout ce qui nous empêche d’éprouver simplement le plaisir de vivre, d’être heureux. Or, ce mal qui surgit dans nos vies et les abîme, nous le considérons comme absurde, inexplicable, voire injuste…

Il est fort à parier que les premiers hommes, dépassés par les malheurs qui s’abattaient sur eux, aient ressenti le besoin d’imaginer que des êtres supérieurs (les Dieux) leur infligeaient ces châtiments pour les punir de fautes qu’ils avaient dû commettre ; aussi se sont-ils efforcés de respecter certaines règles ou interdits, tabous, d’une part, et, d’autre part, se sont-ils mis à pratiquer des offrandes aux dieux, à pratiquer des sacrifices… La mythologie grecque illustre bien ce processus d’habillage de la réalité qui est aussi une conception du monde : les Dieux grecs, bien qu’ils n’aient rien créé, instaurent un ordre dans le chaos. Qu’on les respecte et qu’on soit un homme humble et droit, rien ne devrait arriver – mais c’est sans compter avec le hasard et l’hubris – car les dieux sont irascibles et vindicatifs : si on les offense, ils se vengent (cf. Poséidon poursuit Ulysse de sa haine pour avoir tué son fils Polyphème)… Les Aztèques sacrifiaient des milliers de prisonniers au dieu du soleil en l’alimentant de leur sang pour ne pas que le dieu solaire les prive de la lumière… Ainsi, depuis l’aube des temps, tout malheur apparaît comme une mauvaise action que nous pensons, contraire aux préceptes de la morale. Au pharmakos des Anciens Grecs – bouc émissaire que l’on sacrifiait car il était jugé responsable de la catastrophe qui avait frappé la cité (Œdipe) – correspond à la fois le « C’est injuste ! » ou bien la recherche, lors d’une catastrophe naturelle, d’un « responsable » qui aurait pu, sinon l’empêcher, du moins en limiter les conséquences ou la prévoir, le lampiste de service… Le processus est aussi ancien que le monde humain. Dans la fable de La Fontaine Les animaux malades de la peste, pour se libérer de ce fléau, que tous considèrent comme la conséquence de la faute de l’un d’entre eux, le roi des animaux décide de châtier le responsable. L’âne, le plus faible, est désigné comme bouc émissaire, et sa mise à mort doit permettre l’éradication du fléau. Aujourd’hui, on a condamné en Italie, des sismographes qui n’avaient pas cru bon d’alerter les autorités lors du tremblement de terre de Florence…

C’est que l’homme originel est né de sa conscience, conscience de soi, conscience des autres… La propension de l’homme à s’agréger en groupes n’est sans doute pas étrangère à la naissance de la morale… Le regroupement en clans pour améliorer l’efficacité de la chasse a sans doute favorisé le développement de la communication, et donc du langage… Or si les deux fondements de la morale et de la société dans la plupart des sociétés humaines sont le meurtre et l’inceste, on constate aisément qu’ils ont été commis allègrement au début des temps, comme en témoigne l’Ancien testament ou la Théogonie d’Hésiode… Pour qu’Adam et Eve aient une descendance, il a bien fallu que l’inceste ait lieu et le meurtre d’Abel par son frère Caïn est l’exemple même d’une vengeance irrépressible, mais surtout de l’omniprésence incontournable du mal. D’où a pu venir l’interdit qui frappe ces deux comportements ? Nous pouvons supposer que, au fil du temps, les hommes ont pu observer que les relations sexuelles entre proches aboutissaient à des naissances défavorables (faiblesses, monstruosités, anomalies diverses) et que s’entretuer affaiblissait le groupe au lieu de le renforcer : qu’un homme du clan soit tué, c’était un chasseur de moins, un guerrier de moins, un procréateur de moins. Assassiner le semblable n’est donc pas apparu comme la solution au problème : en cas de conflit, il vaut mieux chercher une autre solution… par exemple devant un ancien de la tribu qui a de l’expérience, a vécu, et qui va émettre un avis médian, un jugement mesuré… La justice est née.

La justice, c’est d’abord une écoute des deux parties, puis un débat contradictoire où chacun est entendu, enfin une sentence qui est censée mettre fin au conflit… Mais la justice n’existe pas sans la loi et la loi, par les sanctions que la justice inflige, se rappelle constamment au citoyen, à nous… Elle se rappelle à nous par la prévention : c’est le doigt qui se dresse et qui dit « Gare à vous si…»…

Dès lors, on pourrait considérer que le respect de la loi repose essentiellement sur la peur du châtiment : sans le doigt dressé, les gens ne se comportent-ils pas comme des hors-la-loi… n’essaient-ils pas systématiquement de détourner la loi, de l’éviter, de la pervertir. Un élève ayant été pris sur le fait en train de tricher lors d’un devoir, l’argument brandi par les parents pour prendre sa défense a été que « les élèves étaient mal surveillés » : l’administration a cédé. C’est assez effrayant car, si l’on transpose dans un tribunal, on obtient ceci : «Monsieur le président, mon client a, certes, tué, mais il n’y avait dans les parages aucun policier pour l’en empêcher… Il mérite l’acquittement… »

Nous reparlerons de ces aberrations logiques du système qui nous régit, mais revenons à la genèse de la société humaine sur laquelle nous réfléchissions. Dans certaines sociétés, le recours à une justice institutionnalisée est faible : on lui préfère la vengeance personnelle ou familiale, la vendetta. Le vol a un prix, le crime aussi : on se rembourse soi-même en volant à son tour le bien d’autrui ou en le tuant ou en tuant un de ses proches pour le prix du sang. La vendetta répond comme la justice a un souci d’équilibre, d’équité : tout malheur et, en l’occurrence ici, le mal social – puisqu’il est le fait d’autrui – vient priver celui qui le subit d’un droit au bonheur qu’il faut compenser en supprimant chez le responsable une fraction de ce bonheur. Celui qui se venge ne récupère rien d’autre que la satisfaction de savoir que le malheur et la souffrance qu’il inflige à l’autre seront égaux à ceux qu’il a lui-même subis. Rien n’est effacé, rien n’est résolu et – diversité humaine et subjectivité aidant – un malheur n’est jamais égal à un autre : la vengeance entraîne souvent un sentiment d’injustice chez celui qui la subit indirectement, ce qui le pousse à se venger à nouveau. La vendetta est un processus qui se nourrit de sa propre dynamique car l’équilibre, notion abstraite absolue, n’est jamais atteint étant donné que, chez l’homme au fond, seul compte vraiment ce qui est concret et relatif…

Est-ce à dire pour autant que la justice moderne satisfait pleinement les parties ? Sans doute que non. Du reste, la peine de mort n’était en fait qu’une vengeance institutionnalisée : qui a tué sera exécuté. Or, l’exécution d’un condamné n’a jamais ramené à la vie la victime : elle ne pouvait avoir pour les parents de celle-ci que la vertu d’une compensation : « C’est bien fait pour lui : il le méritait ! »…L’exécution était un meurtre par procuration, une vengeance indirecte : je ne peux pas tuer l’assassin de mon fils, mais le bourreau s’en chargera…
Attardons-nous sur cette peine capitale que d’aucuns préconisent encore aujourd’hui dans certains cas où le criminel semble avoir perdu toute humanité. Ce qui nous amène à réfléchir sur l’inhumanité… Un homme peut-il être inhumain ? Si l’homme était un être naturel, son être serait donné d’emblée et l’idée d’homme inhumain serait une simple contradiction dans les termes, mais l’homme est culturel.

Il est conscience d’être, et il est ce qu’il se fait, comme disait Sartre. Il y a donc un décalage entre l’homme et lui-même, un espace ouvert pour ce qu’il peut devenir, et pour ce qu’il doit être – voire pour ce qu’il se doit d’être. Et bien entendu, l’homme est un animal social qui, par là même, doit obéir à des lois édictées par la société à laquelle il appartient, ces lois ayant des fondements moraux… En fonction de son adhésion à ce contrat social, l’homme est plus ou moins humain. Certes, l’homme reste toujours un homme biologiquement, mais on peut quand même s’interroger sur ce qui est inhumain en lui. L’inhumain est ce qui nie tout lien social ; c’est le refus de la loi et de la morale… En s’écartant des règles du groupe, l’homme se déshumanise et se rapproche de l’animal. Qui ne connaît ni la peur, ni l’angoisse, ni la fatigue, ni la pitié, ni le respect est-il encore humain? L’inhumanité serait donc dans l’amoralisme, l’inconscience, l’insensibilité et l’excès de force autant que dans la cruauté. L’inhumain est aussi dans la négation de l’écart, dans l’abolition de toute liberté.
L’humain qui se limite à la part d’animalité qui est au fond de lui cesse d’être humain, sans devenir animal pour autant : en effet, il est cruel ou bestial, tandis que l’animal, lui, fidèle à sa nature est, au pire, violent, mais aucunement vicieux. C’est qu’être humain n’a rien de naturel, même si l’on parle de nature humaine : un homme inhumain peut pervertir son humanité essentielle paradoxalement culturelle – car il est un être conscient – sans pour autant la changer. C’est que, contrairement à l’animal, l’homme est capable de perversité : la nouvelle d’Edgar Allan Poe Le Chat noir l’illustre parfaitement.

Si l’on réfléchit bien le concept d’humanité est double : il est à la fois descriptif et normatif. Il est descriptif, en ce qu’il désigne ce qu’est l’humanité en fait : comment les hommes existent et se conduisent. Normatif, car il précise ce que l’humanité affirme qu’elle doit être par un discours qui établit ce qui est digne d’un homme, et, au contraire, ce qui n’est acceptable pour un homme. Cette norme est de facto relative, en fonction de la diversité des cultures, des valeurs morales reconnues par une époque, un groupe social, dans tel ou tel contexte politique. Et pourtant, malgré cette relativité, le terme humanité prend le sens de bienveillance, de tolérance et de bonté, l’humanité se caractérisant d’abord par l’accueil positif de l’autre homme comme homme, comme semblable.

Or l’homme est un être imparfait. L’erreur, en effet, est humaine, la faute aussi. Traiter l’autre avec humanité, c’est reconnaître cette dimension imparfaite de l’humain et savoir parfois faire preuve d’indulgence. Puisqu’elle peut faillir, l’humanité reconnaît qu’elle se réfère à une loi, qui n’est pas nécessaire, mais qui l’oblige : il importe de ne pas se tromper, il convient de ne pas être en faute. Parce qu’elle n’est pas nécessaire, la loi peut être transgressée; parce que la loi est source d’obligation et parce que son application est reconnue comme bonne, la transgression de la loi suscite la culpabilité. Parce que la forme et l’expression de la loi sont relatives, la culpabilité peut s’atténuer ou disparaître, l’obligation peut être contestée, la transgression peut être revendiquée. Nous restons dans le champ de l’humain, l’humain qui a conscience de ses propres limites.

L’accusation d’inhumanité surgit lorsque ce débat relatif à la faute ou à la violence laisse place au scandale de l’excès incompréhensible. Dans certains cas extrêmes de transgression, le coupable ne peut plus, à tort ou à raison, être reconnu pour un semblable. Il n’est pas possible à un homme d’agir ainsi, pense-t-on, quand on songe au comportement des S.S. pendant la Seconde Guerre Mondiale, à la froideur de l’assassin d’enfants ou à l’indifférence monstrueuse d’une mère qui tue son propre enfant…Pourtant, aucun de ces humains ne se pense comme inhumain, puisqu’il s’éprouve comme humain. Traiter quelqu’un d’inhumain, c’est lui refuser la reconnaissance, ne plus le considérer comme un semblable : ce faisant, on brise la communauté d’humanité. L’excès du crime et la violence insensée de la barbarie causent cette expulsion de l’humain, cet ostracisme, ce bannissement. La cause de cette exclusion hors de l’humanité reconnue peut être, outre un crime épouvantable, un crime de guerre ou un acte de barbarie, qui doivent être jugés et punis, un acte quelconque que nous jugeons hors de toute norme humaine, qui constitue la négation de l’humanité en soi-même en même temps que dans l’autre. Or aujourd’hui, le paradoxe atroce, c’est que, même les génocides ne suscitent pas toujours cet au-delà de la réprobation, cette incompréhension radicale du mal que l’homme peut faire à l’autre homme. Le retour – mais l’a-t-on jamais quittée ? – à la sauvagerie tribale se marque dans cette acceptation de fait des épurations dites ethniques et dans cette non-reconnaissance de l’humain de tout autre homme.
Y a-t-il encore de l’inacceptable ? Sans doute y a-t-il naïveté à identifier l’inacceptable comme s’il était intangible, fixé une fois pour toutes par telle ou telle norme religieuse, morale ou politique. Mais s’il n’y a plus d’injustifiable, il n’y a plus de loi non plus. L’injustifiable diffère en effet de la transgression en ce qu’il désigne les situations où la loi n’est plus reconnue comme loi, respectée ou non. La disparition de l’inacceptable est ce qui nie l’humanité non seulement descriptive, par le meurtre, l’esclavage ou le mépris, mais ce qui récuse l’humanité comme norme. S’il n’y a plus d’injustifiable, il n’y a plus ni bien ni mal, il n’y a que survie et violence. Dès lors, la capacité de penser ne génère plus ni conscience morale, ni conscience de soi, ni reconnaissance de l’autre. L’humanité est, au final, déshumanisée.
La déshumanisation est l’effet sine qua non de conditions de vie inhumaines, c’est-à-dire qui ne permettent plus à l’homme d’être homme. On sait que c’est ce que les nazis voulaient susciter chez les prisonniers des camps de concentration, comme le montre Primo Levi dans Si c’est un homme : qu’ils se déchirent à mort pour un morceau de pain, qu’ils se dénoncent mutuellement pour survivre, qu’ils s’abaissent totalement devant leurs bourreaux, afin de justifier le mépris que l’exterminateur avait posé au départ.

Effet sine qua non voulu, mais pas forcément obtenu, car, précisément, ces calculs «rationnels» de l’humanité pervertie ont été déjoués par les capacités étonnantes et héroïques de la résistance de l’humain chez quelques-uns. C’est que «l’espèce humaine » (R. Antelme) a non seulement la peau dure, mais la culture et la morale chevillées au corps. L’écriture témoigne aujourd’hui (cf. J. Semprun L’Ecriture ou la vie) de la survivance de l’humain au sein de l’inhumain. Ce n’est pas la victime qui devient inhumaine, mais le bourreau qui s’exclut de l’humanité en instaurant la « banalité du mal » dont parle Hannah Arendt). La victime, elle, refonde l’humanité par sa résistance et sa foi en l’homme envers et contre tout.
Alors, comment rendre la justice quand le coupable nous apparaît comme inhumain ?
La peine la plus humaine est, sans aucun doute, l’emprisonnement et heureusement elle s’est substitué à la peine capitale. L’emprisonnement a une double fonction : priver le coupable de liberté en l’excluant de l’espace social pour raison de sécurité publique. Dans les sociétés modernes, on enferme les gens pour les punir, d’une part, et éviter qu’ils nuisent à la société, d’autre part : c’est une réclusion-exclusion… La société ingère le condamné tout en le vomissant. Le doigt maintient l’homme coupable au fond du trou… mais on admet que cet homme déchu puisse obtenir la rédemption.

Le problème de la peine de mort, c’était qu’elle interdisait de facto toute rédemption. L’incarcération, quoique préférable, supprime l’insertion et, par conséquent, rend difficile la réinsertion. Or, dans certaines sociétés amérindiennes – Lévi-Strauss en parle dans un de ses ouvrages –, le délinquant ou le criminel est d’abord dépouillé de tous ses biens et de son statut puis, s’il exprime le regret d’avoir commis la faute, il se voit offrir quelque chose par chacun des membres de la tribu ; et ce, afin qu’il se sente redevable envers tous de quelque chose, qu’il prenne conscience que, sans le groupe, il n’est rien et que le groupe lui donne une seconde chance de l’intégrer à nouveau en son sein.

Cette coutume est l’illustration encore une fois que, en matière de justice ou de vengeance, tout se calcule pour arriver à un équilibre entre le coupable et la victime, entre le transgresseur et la société qui édicte les lois. D’ailleurs, le vieil adage « Il faut qu’il paie pour ses crimes » rappelle bien que la justice est une affaire d’échange, de négoce, de compte… Rien d’étonnant à cela : le paradigme de la relation humaine est en effet la réciprocité de l’échange. Le vocabulaire de la transaction se retrouve donc dans celui du commerce des hommes et de son évaluation éthique : donner, rendre, devoir, se racheter, payer, être quitte. L’équité étant la valeur fondamentale de l’échange, lorsque la faute y introduit l’iniquité se pose le problème de la dette, c’est-à-dire, en termes judiciaires, de la peine. La justice intervient précisément pour rétablir l’équilibre des plateaux de la balance, d’où le symbole. Ce n’est que dans la relation privée que la tradition religieuse enseigne de pardonner. Le pardon apparaît alors bien comme un au-delà du jugement : il consiste à circonscrire la loi du talion, en annulant la dette.
On parlait, on parle encore parfois de « règlement de comptes »… Il y a aussi une dimension comptable dans la justice : à chaque infraction sa peine…

Et c’est pour conjurer ses propres tentations barbares (tentation primitive du sacrifice de l’innocent, caractère collectif de la faute et de la sanction dans les sociétés primitives) qu’elle doit assumer le droit et le devoir d’infliger des peines évaluées « en l’âme et conscience » du juge, qui est le gardien de la règle de toute coexistence possible entre les hommes.
Mais, quelles sont les raisons qui font qu’on ne commet pas la faute ? Par crainte du malheur qui pourrait s’abattre sur nous et de la souffrance qui en est le corollaire, par peur du doigt dressé ? Lors du dialogue qui oppose Polos à Socrate dans le Gorgias de Platon, à la question de Socrate, qui lui demande s’il est préférable de subir l’injustice ou de la commettre, Polos répond sans hésiter qu’il est préférable de la commettre, comme en témoigne la vie de tyrans célèbres par leurs ignominies, et néanmoins heureux. Le discours de Polos reflète l’opinion commune, qui, si elle est prompte à condamner l’injustice, n’en demeure pas moins attachée à la poursuite de son bonheur, qu’elle continue à considérer comme la valeur suprême.
On voit bien que la faute est parfois ce qui nous permet de continuer à être heureux et que la loi parfois est ce qui nous empêche de continuer à l’être. En commettant la faute, le coupable arrache à la vie une parcelle de ce bonheur qu’il place au-dessus de tout et, même s’il est puni ensuite, ce plaisir-là, il l’a eu. Rien ne pourra lui enlever cela : c’est là qu’est la grande injustice, non ? On ne peut rien arracher de l’existence passée de l’homme… On n’annulera pas ce bonheur du maniaque quand il étrangle sa victime…

Dès lors, la justice est bien un moyen irrationnel de vouloir remonter le temps et réparer l’irréparable, effacer l’indélébile : la justice est sur le plan moral et philosophique un pis-aller, un pauvre bricolage pour éviter l’hémorragie du « tout, tout de suite ». Concrètement cela fonctionne tant bien que mal. Retournons en amont de la transgression : qu’est-ce qui fait que la plupart des hommes, que la plupart d’entre nous ne sommes ni des voleurs ni des assassins ? Ce n’est pas tant la crainte du doigt dressé, la peur du gendarme ou la menace du père fouettard que l’œil qui est en nous… l’œil que nous avons jeté sur nous-mêmes et les autres pour en conclure que, sans certaines valeurs fondamentales, la vie en société ne serait pas possible, ne permettrait pas d’accéder au bonheur… L’œil, c’est l’œil de la conscience morale. La raison nous commande de renoncer parfois immédiatement à notre plaisir égoïste, à notre bonheur personnel pour obéir à la loi qui, pour qu’on puisse accéder à un bonheur ultérieur partagé, se fonde sur une valeur morale incontournable. Elle est ce qui commande absolument, inconditionnellement, parce que, étant universelle, elle ne peut se plier à la satisfaction d’un intérêt personnel. C’est pourquoi l’obéissance à la loi est un devoir, et c’est à ce titre qu’elle peut être jugée moralement. Or la valeur qui fonde la morale occidentale est le respect de la personne, de son intégrité morale et physique. Cet œil qui veille en nous éclaire cette loi fondamentale et fondatrice… oh, certes, l’œil peut parfois cligner un peu – nous sommes humains, trop humains –, mais cet œil nous permet de voir et d’aller de l’avant.
Ce qui pose problème, en effet, c’est l’imperfection constitutive de l’homme, autrement dit sa finitude, ou encore, selon les termes de Leibniz, le mal métaphysique. Parce que l’homme est un être fini, imparfait, est contenue dans son essence la possibilité de déchoir : l’homme est la condition même de la faute, comme il a à souffrir dans son corps. Un corps susceptible d’être atteint par la maladie est en effet un corps qui n’est pas en mesure de résister à l’ensemble des réalités extérieures, en lesquelles il s’insère, précisément parce qu’il est imparfait. Dans Si c’est un homme, Primo Lévi, déporté dans un camp de concentration, se fait le témoin de cette fragilité de l’homme, qui au-delà d’un certain degré de souffrance, est en-deçà du bien et du mal, niant ainsi son humanité. La souffrance est donc bien loin d’être sans rapport à la moralité et à l’humanité. C’est ce qu’avaient compris les nazis qui, pour mener à bien leur entreprise de destruction systématique et de négation de l’humanité de ceux qu’ils considéraient comme des sous-hommes, ont cherché avant de les faire mourir à les ravaler, par une souffrance extrême, au rang de bêtes et, en les amenant parfois à la transgression des valeurs humanistes, à les rendre indignes en les faisant souffrir et en les faisant infliger la souffrance aux autres. La plupart, victimes et bourreaux, ont d’ailleurs échappé à la justice, mais peut-être pas à la culpabilité ?

On le voit bien : vengeance et justice semblent inefficaces devant l’inhumanité des crimes. La question que l’on peut se poser est « le crime ne reste-t-il pas au fond impuni ? »… Sans doute…puisqu’il n’y a pas vraiment réparation… Reste le pardon… Le pardon, en justice, n’est pas. Si le droit prévoit des remises de peine, c’est par le biais d’un juge d’application des peines. Il ne parle jamais de pardon; le pardon est en effet non une notion juridique mais – nous l’avons dit supra – une catégorie éthique d’origine religieuse. Si la justice fait remémoration des dettes en assumant la tâche de la rétribution, la loi du pardon est une loi d’origine religieuse, de gratuité et de surabondance. À Pierre qui vient demander à Jésus combien de fois il doit pardonner à son frère qui a péché contre lui : « Sera-ce jusqu’à sept fois ? », Jésus répond : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais soixante-dix-sept fois! » (Matthieu, 18, 21-22). Le pardon est une générosité qui ne consent pas à juger définitivement dès lors qu’il y a assomption d’une responsabilité, qu’on ne se soustrait pas à l’imputation. Du côté de celui qui implore le pardon, la conscience de la dette est le signe de l’inscription de la relation dans le fondamental, dans ce qui constitue l’humain comme tel. Du côté de celui qui accorde le pardon du fond du cœur, sans faire de l’autre son obligé (donc sans se faire payer), il y a acte de libération et de réconciliation qui répudie la rupture irréparable. Toutefois, il ne saurait être question de confondre le pardon et l’excuse, que Vladimir Jankélévitch appelle la «compréhension obsolante». Dans l’excuse intervient un mécanisme explicatif qui évacue l’imputation en faisant intervenir des causes étrangères au sujet éthique (excusare, disculper). Nous sortons dès lors de l’univers de la faute.

L’idée de pardon est cruciale chez les Hébreux. Ce sont eux qui nous l’ont léguée. C’est la Bible qui ordonne : « Aimez ceux qui vous ont haï », « Aimez vos ennemis », demandant de pardonner aux plus profondes offenses, comme le montre le livre de Jonas, prophète envoyé vers Ninive, qui vient d’exterminer presque tous les habitants du royaume du nord d’Israël ! Le Dieu de la Bible est un Dieu de justice et de miséricorde : il déploie sa colère sur la faute mais il pardonne, remettant gratuitement la dette. Dans l’Ancien Testament, Dieu est l’unique sujet du verbe hébreu « pardonner » (salah). Lui seul peut juger en vue du pardon, offrant sans relâche son alliance, permettant au peuple de retrouver sa présence qui fait vivre, car il est l’Être, celui qui donne d’être. Dans le Nouveau Testament, à la fin de son ministère, Jésus confie à ses disciples le pouvoir de remettre ou non les péchés en discernant parmi les actes des hommes ceux qui travaillent à la venue du Royaume et ceux qui en sapent les fondements, car tout n’est pas égal.

Le jour du Pardon, le Yom Kippour, est le jour le plus saint et le plus solennel du calendrier religieux juif. Il est aussi appelé Yom ha-Din (le jour du Jugement). Il a relayé le rituel selon lequel, à l’époque du Temple, le prêtre tirait au sort, parmi deux boucs, l’un pour être sacrifié et l’autre pour être envoyé dans le désert, portant avec lui tous les péchés du peuple, matérialisant en quelque sorte l’exutoire de la faute (Lévitique, XVI, 22). Il s’agit donc, dans le Kippour, de confesser avoir failli, envers soi, envers les autres et envers Dieu, ce qui est un tout, et d’être purifié de ce que la faute a de mortifère. Le pardon n’annule pas la faute dans un coupable oubli, mais il exempte d’avoir à la porter dans le ressassement obsessionnel.
Il permet de retrouver la paix dans la réconciliation. L’homme est faillible parce qu’il n’a pas l’être, qu’il ne fait qu’y participer dans une libre alliance. Il peut donc s’en éloigner, mais la demande de pardon qui accompagne le repentir est retour à Dieu (teschouva) où l’esprit et le cœur se ressourcent.

Loin d’être un oubli, le pardon reconduit la mémoire de l’ordre éthique que le crime a subverti. Inassimilable à un acte de clémence qui se situe encore dans le cadre de l’exercice de la justice, c’est un geste de miséricorde. Sublimant la souffrance endurée, il témoigne d’un dur travail opéré sur soi-même pour tenter de la transcender. Il s’agit toujours d’un travail de deuil : deuil de l’amour-propre pour les fautes vénielles, deuil des morts pour les homicides, deuil indicible pour les génocides.

La sagesse antique n’encourageait guère à pardonner car la faute était le signe d’une perversion de l’être, dont la valeur se trouvait ainsi diminuée. Aristote reconnaît bien qu’il y a des fautes involontaires auxquelles le pardon est dû, mais il affirme avec force qu’il n’y a « pas de pardon pour la méchanceté » (Éthique à Nicomaque, VII, 2). Quant aux stoïciens, avec leur sévérité coutumière, ils considèrent le pardon comme une injustice que le sage ne doit pas commettre. La pitié ou la compassion est à leurs yeux une passion qu’il faut bannir de son âme pour se conformer à la stricte justice. À l’opposé de la neutralisation stoïcienne de l’offense par l’insensibilité de l’offensé, le pardon judéo-chrétien ne prend sens que par cette souffrance surmontée.
Le caractère paroxystique de l’extermination massive des juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale a, par sa démesure, amené à forger une nouvelle catégorie juridique : le crime contre l’humanité imprescriptible. La prescriptibilité ne s’applique pas au crime contre l’humanité, conçu en référence à la loi naturelle non écrite, qui venait d’être scandaleusement transgressée par le droit positif un peu partout dans l’Europe occupée.
À l’occasion du procès Barbie, la cour de cassation rappelait le 3 juin 1988 : «Le principe d’imprescriptibilité, résultant du statut du tribunal militaire international de Nuremberg annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et de la résolution des Nations unies du 13 février 1946, régit en tous leurs aspects la poursuite et la répression des crimes contre l’humanité; il fait obstacle à ce qu’une règle de droit interne permette à une personne déclarée coupable d’un crime contre l’humanité de se soustraire à l’action de la justice en raison du temps écoulé, que ce soit depuis les actes incriminés ou depuis une précédente condamnation, dès lors qu’aucune peine n’a été subie. »

Selon le Code pénal de 1992, sont crimes contre l’humanité le génocide, la déportation, la réduction en esclavage ou la pratique massive d’exécutions sommaires, d’enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de la torture ou d’actes inhumains, inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile; ils sont punis de la réclusion criminelle à perpétuité.
Notre civilisation, passé le vent de barbarie qui faillit l’emporter, a tranché : il n’y a pas d’humanité sans respect des valeurs universelles et fondatrices de la dignité de la personne humaine (terme moral à distinguer du spécimen de l’espèce zoologique …). C’est dans cette perspective qu’ont eu lieu les procès jugeant les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Ils ont réhabilité le droit de la nature et des gens hérité du stoïcisme et du christianisme et reconduit le recours obligé à la transcendance de la norme et de la valeur.
Ainsi, l’ultime épreuve pour celui qui a été brisé est d’avoir un jour à pardonner l’impardonnable : « Telle est la condition inhumaine de l’histoire humaine », écrit A. Abécassis, qui remarque d’ailleurs qu’il n’y a guère que l’impardonnable qu’il faille pardonner. « Quand le criminel a réparé, jeûné, pris le deuil, prié, et s’est engagé dans la voie des réformes et de la vigilance à l’égard des racines du crime, il a droit au pardon. »
Pourtant, la question primordiale qui devrait nous tarabuster est : « Y a-t-il un ou des crimes imprescriptibles quand il s’agit de crimes contre l’humanité ? »
Dans un texte polémique intitulé L’imprescriptible Vladimir Jankélévitch dit que non : il ne saurait être question de pardonner les crimes contre l’humanité, c’est-à-dire contre ce qui fait de l’homme un homme, contre la puissance de pardonner elle-même. Il est d’autant moins question de pardonner que les bourreaux n’ont jamais demandé pardon. (De même, Hegel, grand penseur du pardon et de la réconciliation disait que tout est pardonnable, sauf le crime contre l’esprit, à savoir contre la puissance réconciliatrice du pardon.) Pour Jankélévitch, la Shoah, c’est l’inexpiable et, pour l’inexpiable, aucun pardon n’a de sens. Il faudrait qu’il ait un sens sur fond de salut, de réconciliation, de rédemption, d’expiation, de sacrifice. C’est, pour Jankélévitch, quand le crime est si odieux si immense qu’aucun châtiment n’a plus d’importance, devient presque indifférent », c’est alors qu’on entre dans le domaine de l’inexpiable, de l’impardonnable réel, qu’on ne peut pas pardonner.

Pourtant, il admet que le pardon est une possibilité humaine ; il admet aussi qu’elle est le corrélat d’une possibilité de punir : « Le châtiment a ceci de commun avec le pardon qu’il tente de mettre un terme à une chose qui, sans intervention, pourrait continuer indéfiniment. Il est donc très significatif, c’est un élément structurel du domaine des affaires humaines, que les hommes soient incapables de pardonner, et qu’ils soient incapables de punir ce qui se révèle impardonnable. » Il ajoutera : « Le pardon est mort dans les camps de la mort. »
Le pardon pose un autre problème, celui de son objet : pardonné-je à quelqu’un ou bien pardonné-je un acte commis ? Ce qui est légèrement différent si l’on réfléchit bien. Pardonner à celui qui a changé, qui n’est plus le même qu’au moment où il a commis le mal, est-ce bien encore du pardon ? Ne pardonne-t-on pas alors à quelqu’un qui n’est plus coupable ?
De toute façon, le pardon ne peut intervenir qu’entre la victime et son bourreau; si un tiers intervient, il ne s’agit alors que d’amnistie, etc. Le représentant de l’état peut juger, mais ne peut pas pardonner car le pardon justement n’est pas de la même nature que le jugement qui appartient à la loi, au droit. C’est pourquoi on est en droit de poser la question : a-t-on le droit de pardonner au nom des victimes qui sont mortes ?

« Le pardon pur et inconditionnel pour avoir son sens propre doit n’avoir aucun sens, aucune finalité, aucune intelligibilité même. C’est une folie de l’impossible » Jacques Derrida.
Pour ce qui est de l’œil, l’important est qu’il ne se ferme jamais complètement pour céder à la violence aveugle, à l’inhumanité, à la barbarie… Il ne faut jamais fermer les yeux ni sur l’injustice ni sur la violence… En réalité, cet œil, c’est aussi, certes, l’œil de la culpabilité qui poursuit Caïn… Cet œil n’est pas l’œil de Dieu, mais notre œil intérieur… Qui croirait que la justice transcendante existe pourrait se mettre le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Dieu – je parie, Blaise Pascal, qu’il n’existe pas – Dieu s’en bat l’œil… Ni anges, ni bêtes, gardons l’œil sur notre inhumanité et écrasons-la du doigt ; gardons l’œil sur l’injustice et montrons-la du doigt puis balayons-la d’un revers de main.

Est-ce aussi simple ?… Mon œil !

FICTION PHILOSOPHIQUE

FAIRE FEU DE TOUT BOIS

Les idées vont et viennent comme des gazelles affolées : elles ne savant plus où aller, mais quand même… L’humanité n’a plus besoin d’un dieu qui a fini sa création ou l’a laissée inachevée… elle devrait plutôt s’occuper de son bien-être, mais l’humanité est un ramassis d’humains aussi stupides les uns que les autres : ils sont tous déterminés à s’étriper pour profiter du meilleur qu’ils n’ont pas…Les Romains n’avaient pas le sens de l’art pour l’art : ils pensaient toujours à l’utile pour l’accroissement de leur espace vital et la gloire de Rome. De la beauté ils n’avaient cure… leurs sculpteurs étaient des esclaves : ils n’avaient aucun respect pour leurs Phidias.

Les Grecs ont influencé le monde, les Chrétiens aussi, mais la religion a tout de même entravé le progrès de la civilisation… Dire qu’un homme à une certaine époque a cru bon d’inventer un autre Dieu et de faire croire qu’il avait eu la révélation de dizaine d’interdits visant à empêcher les hommes d’être libres et de s’égayer sur le chemin de Damas ou en quête du Graal… Entre les aristocrates bien occupés à profiter des meilleurs instants de leur vie oisive et les bourgeois occupés à faire fructifier leur argent, le peuple a toujours été plus ou moins exploité, mais ce qui ressort de l’observation des siècles passés, c’est la tendance paradoxale de l’homme à, d’une part, céder aux mirages de la matière et à, d’autre part, se réfugier dans l’abstraction en se coupant totalement de la réalité…

Penchons-nous sur les variations du pouvoir au fil des siècles… Les anciens asseyaient leur pouvoir politique sur la force violente ; puis vient la démocratie grecque qui institue la violence légale et mesurée, déléguée aux institutions de la cité. La cité exerce le pouvoir que lui a conféré le peuple lors d’un vote, mais le peuple dépend totalement de la cité… Peu à peu après l’émergence de la barbarie médiévale qui promeut le statut du seigneur tout-puissant investi par son destin d’une mission divine et inamovible car détenteur à vie et pour l’éternité d’un privilège qui le distingue du roturier. Le seigneur règne sur son fief et tous ceux qui y sont attachés et, en échange, offre à ses sujets la protection contre d’éventuelles attaques d’ennemis… Après la fin de l’Ancien Régime, le système du contrat social continue : ce contrat associe l’individu d’un côté et l’état de l’autre, le premier consent à céder une partie de sa liberté pour obtenir en échange la garantie d’une sécurité qui lui permet de jouir d’une liberté limitée, contrôlée, surveillée, mais qui évite l’excès, le vice, le crime… La démocratie moderne a vécu pendant des siècles… Parmi ses avatars, le totalitarisme est une sorte d’aberration assez facile à expliquer : le citoyen las des débats et des compromis, s’en remet à l’état monstre qui, sans plus se soucier des libertés, assurent une sécurité par la terreur. Pourvu que le plein emploi règne, que le confort soit assuré, la normalisation totale peut être instaurée pour engendrer des hommes-machines, instrument de production et objets de consommation… Mais le système totalitaire est totalisant : s’il ne peut pas être instauré dans le monde entier, il engendre la violence et la guerre : ce fut le cas avec le nazisme et le communisme stalinien… La démocratie moderne fut instaurée à nouveau, mais comme au XIXe siècle le capitalisme bourgeois a ressurgi à l’échelle de la planète… La mondialisation n’est que la conjonction de la chute des empires coloniaux, de l’émergence des pays du Tiers-Monde et de la primauté intégrale du capital financier sur le capital industriel… Les néo-seigneurs du XXIe siècle règnent désormais sur des empires gigantesques dont la puissance dépasse largement celle des états qu’ils transcendent : leur seule volonté est celle du profit pour les élites qui les financent… les gens ordinaires n’ont plus qu’un statut de pseudo-citoyens : ils votent, mais leur existence économique n’a aucune importance et, dans l’état de pénurie qui existe désormais partout, ils ne sont plus que des ressources humaines jetables… Le monde tel que nous l’avons connu est-il en passe de disparaître ? Ce monde a-t-il jamais existé ? La démocratie a existé, certes, mais il semble bien qu’elle ait été dès ses débuts réservée à une certaine catégorie de la population… Depuis la démocratie athénienne, le discours des droits de l’homme a été un credo largement répété à la surface du globe, une antienne bien commode pour occulter les agissements des puissants toujours animés par la même soif du pouvoir et de l’argent… L’occident désormais dépassé économiquement et bientôt politiquement par des pays dont la tradition démocratique est nulle et non avenue, sera bientôt réduit, nul n’en doute, a l’état de néo-colonie… Nous entrerons dans la longue nuit d’une immonde décadence.

Du reste, il n’est pas dit que la conception d’une société strictement matérialiste triomphe au final, que le dogme du profit à tout prix subsiste. En effet, la religion musulmane sous sa forme la plus exacerbée, la plus intolérante, pourrait bien nous extraire de cette logique économique et financière pour nous emporter vers une errance bien plus grande qui serait le retour à l’abstraction gratuite, la subordination aveugle au salut éternel, l’asservissement à la volonté d’un Dieu inimaginable, le sacrifice total de soi à la gloire d’un Dieu muet, caché, terrible, insupportable… Nous retournerions alors dans les ténèbres.

Les hommes sont donc si déterminés à faire entrer des fragments d’acier dans la chair de leurs semblables qu’ils en oublient leur aspiration au bonheur. Dans le souci de la perfection qui taraude l’architecte, le forgeron et le tortionnaire, l’homme veut atteindre l’idéal à tout prix. Pureté, ordre, perfection : l’idée fixe devient l’aune de tout acte, sa finalité… L’obsession de l’idéal déteint sur toute la vie d’une nation, d’une civilisation. La sophistication de celle-ci n’a rien à y voir : la barbarie surgit quand il est imposé par une idéologie de faire abstraction d’une dimension, de ne pas exercer sa pensée, de suspendre son esprit critique. On demande souvent aux hommes d’oublier qui ils sont vraiment ou d’oublier qui sont les autres : seuls ces oublis rendent possibles les déportations, les crimes de guerre, les massacres et les génocides. Pour mordre dans la pomme dorée du monde, l’homme est prêt à dévorer l’autre qu’il réduit auparavant à un fruit ordinaire, une denrée consommable… Ces aberrations doivent cesser.

Pour lutter contre l’ignorance, pour résister au fanatisme religieux, pour éviter le pire, engagez-vous dans les Brigades Philosophiques !

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Preuve métaphysique

   « Si les dieux existaient vraiment, comment pourraient-ils tolérer que les hommes eux-mêmes se prennent pour des dieux, agissent comme des dieux ?  La stupidité, l’aveuglement et la violence des hommes est bien la preuve que le monde existe sans les dieux. Que les fanatiques de la transcendance se le disent ! Rien ni personne ne saurait justifier leurs outrances ! »   Benoît-Joseph  Aticeli