Good-bye, Gomorrhe !

    De belles jeunes femmes, qui avaient pu apporter la preuve de leur virginité, avaient été spécialement recrutées pour distraire les clients potentiels de Blowup International après les négotiations, parmi lesquels on comptait bon nombre de princes zorabes ou assimilés. L’une d’elles, énervée par les images de guerre projetées lors de la conférence sur les avantages d’un armement moderne, suçait, pour se calmer, un esquimau vert que son tonton, un émir du Waazabar septentrional lui avait généreusement offert. Pendant qu’elle s’appliquait à passer une langue bien rose sur la surface lisse du cône de glace, le tonton de la Mer Rouge l’avait invitée à venir s’asseoir sur ses genoux et lui avait alors subrepticement glissé la main dans la petite culotte : elle gloussait lascivement en se balançant d’avant en arrière. Le manège laissait le petit personnel totalement indifférent. Quant aux autres invités, abrutis par une journée entière de travail purement technique et financier, ils sirotaient leurs cocktails à l’ombre des palmiers en matériau de synthèse, servis par des godelureaux serrés dans des pantalons fuseaux qui sentaient la bergamotte, le benjoin et la fleur de cactus. Dans un salon à part, protégé par les gardes des brigades spéciales en armes, les plénipotentiaires internationaux du groupe 13 étaient en comité restreint pour déterminer les candidats à l’obtention du permis d’accéder à la fusion stellaire. On les voyait à travers l’immense baie vitrée débattre en mode diplomatique par porte-parole interposé. Des milliards de dollars se jouaient sur les tables où s’étalaient sur les écrans plats à cellules biomobiles les plans des centrales potentiellement accessibles… L’émir lança quelques œillades entendues à son agent caché derrière un drone de surveillance pour qu’il négocie plus âprement avec le roi Baduq de Tartanie qui tentait d‘obtenir le droit de pomper l’énergie solaire à partir des infrastructures des NAPO  (NAtions Pilotes de l’Ouest);  puis il se remit à caresser son hôtesse qui se pâmait entre les coussins.

– Voyez-vous, Schnickmitt, lança le sous-directeur, l’hôtel n’est plus ce qu’il était. Du temps de monsieur Gagnard-Delonge, on n’aurait jamais permis ces vulgarités… Tout ça pour assouvir les désirs des rastaquouères et autres bédouins…

– Blondu, surveillez votre langage ! On pourrait nous entendre…

– Avec le brouilleur de fréquence que mon beau-frère m’a donné, ça m’étonnerait. Ils ont beau mettre des caméras et des micros partout, basta !

– Bon, maintenant, on lance l’opération « bourre-bide »…

   En effet, la réunion s’éternisait. On commença donc à servir des repas sur les tablettes de relaxation : le champagne se mit à couler dans les flûtes comme par magie. Du caviar fut extrait des boîtes dorées… on se bâfra un temps. Un orchestre jouait du cybertangolf : la piste était noire de monde, surtout des tourneuses à neutrons qui faisaient danser les clients gratuitement jusqu’à ce qu’ils aient bien soif… Peu à peu les lumières avaient été tamisées… Les heures passèrent dans le luxe, le lucre et la luxure. Bientôt, dans la semi-obscurité artificielle, on entrevit, à travers les rideaux en membrane osmotique de synthèse, les premières lueurs de l’aube. Le jour arrivait en crabe au-dessus des petits nuages gris que les restes de la nuit rendaient noirs.

   Une des invitées, une épouse d’ambassadeur, mal gérée par les majordomes de tempérance, s’était écartée pour vomir ses punchs dans une énorme jardinière ; n’y parvenant pas, elle en profita pour uriner sur les plates-bandes d’orchidées. Un agent de sécurité déguisé en gigolo vint la prier de l’accompagner dans la suite de dégrisement : elle le suivit docilement, sous hypnose. Un grand jeune homme un peu raide, que le mélange de whiskies et de rhums avait rendu à demi fou essayait désespérément de séduire un pilier de marbre sur lequel un artiste avait sculpté une odalisque. Les groupes parlementaires de surveillance étaient tous dans un état second : beaucoup avaient reçu une forte dose d’Ataraxyl, un calmant hallucinogène distribué par Flipit, la société spécialisée dans la thérapie globale de masses. Le sol de l’hôtel était jonché de corps inertes, des corps d’emprunts abandonnés là par les visiteurs ou les résidents qui étaient allés se coucher depuis longtemps… Le blême régnait sur les cieux et les visages. Le grand salon était dans un état lamentable de lendemain d’orgie.

   Une odeur aigre de sucs gastriques mêlée à la forte senteur d’alcool frelaté flottait entre l’entresol et la mezzanine. Les personnels de nettoyage suivaient de près les policiers privés qui réveillaient les convives quand ils n’étaient pas abrutis par des substances illicites.

– Vous avez une idée, Schnickmitt, du montant des marchés conclus pendant la nuit ?

– Je ne sais pas… 15 milliards de dollars ?

– Oh, plus que cela, Schnickmitt, plus que cela ! Vous n’avez pas idée, mon vieux ! Je me suis laissé dire par l’attaché d’ambassade de la Kratchovia centrale – mais cela doit rester confidentiel, entre vous et moi, n’est-ce pas – que on devait tourner autour de 300 milliards… sans compter les commissions, bien sûr.

– C’est dingue !

– Eh bien, oui, songez que les Mornicains ont vendu sept centrales de fusion stellaire aux Bartillais. Et la Zanzanie a fourgué tout son stock de plasma au Tintouin méridional, moyennant une commission de 4 milliards de wombz, ce qui fait quand même 1 milliard de dollars.

   Le transmetteur sonna violemment : c’était une autorité.

– Allô ? Oui, commandant…les escouades B ? Pas de soucis… Oh, quelques-uns comme d’habitude… c’est l’effet du gouingouin : no limit, vous savez bien…

   Il raccrocha et se tournant vers Scnickmitt :

« Les escouades B vont arriver pour ramasser les morts…

– Et il y en a beaucoup ?

– Quelques-uns… enfin, surtout des mortes… des filles… Ce sont les gens du Moyen-Quadrant, ils ne respectent rien… Ils prétendent adorer leur Wedeh et respecter les préceptes de Ouechouech, tous des adeptes de Sade, asservis à leurs instincts les plus primitifs, je vous le dis, Schnickmitt, des Sadiens fondamentalistes.

– Mais pourquoi diable… ?

– C’est pas le « pourquoi diable » qui importe ici, mais le « comment diable » ! C’est simple, les nanas, ils les bourrent de gouigouin et les malmènent tellement, les pauvres poupées, qu’elles finissent par se casser : c’est fatal ! Mais bon, les affaires sont les affaires, hein… Pour tout l’oseille qu’il a gagné hier soir, Blowup peut bien avoir claqué une partie de sa caisse noire à fournir une valise d’Ataraxyl, une citerne de punch bartillais, un camion de Champagne frinois, un fourgon de caviar et un car de vierges de joie arrivées de Trologne…

   Schnickmitt avait été prévenu en acceptant ce poste, mais il ne s’y faisait pas. C’était quand même la décadence : tout ce superflu, ce gâchis, cet étalage de luxe…    Et l’immense corruption, les crimes impunis, les pots-de-vin, le scandale des armes illégales, les transferts de compétence à coups de graissage de pattes, les fusions, surfusions et transfusions… et cet intolérable avachissement ! Il allait falloir mettre fin à tout cela, Blowup en premier. Heureusement qu’il avait encore des contacts avec les services secrets de la H.E.R.  (Haute Eglise de la Rédemption) : au moins ces moines-soldats étaient de purs incorruptibles… Ils allaient nettoyer les écuries d’Augias. Il appela. Une voix suave lui répondit : c’était la secrétaire de Dieu « Nous vous envoyons une légion »

– Vous êtes des anges.

– Oui, nous le savons bien.

Il y eut ce bruit d’ailes… Puis, la pluie de feu…

                                                                                Brad Yorvann

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