Chroniques d’une pandémie 6

Pandémie, quand tu nous tiens… enfermés

   Les jours de confinement se suivent et se ressemblent quand même beaucoup. Celles et ceux qui luttent pour sauver leurs semblables font admirablement leur devoir et se jettent à corps perdu dans un combat incertain ;  d’autres continuent à œuvrer avec courage pour que la population soit approvisionnée en produits de première nécessité ;  et la grande majorité est obligée de rester confinée, c’est-à-dire enfermée dans son habitat.
Or il y a habitat et habitat : entre la famille qui loge dans une maison de 200 m2 entourée d’un terrain de 400 m2 avec vue sur un parc, une colline ou la mer et la famille qui se tasse dans un appartement de 60m2 dans un immeuble sans balcon avec vue sur d’autres immeubles, il y a un monde, un monde, que dis-je ? une fracture sociale.
Ce que révèle la pandémie, hélas !  C’est que le système capitaliste libéral hérité du XVIIIe siècle a perpétué le vieux système d’Ancien Régime :  il vaut mieux être puissant, riche et bien logé plutôt que gueux, pauvre et à la rue. En matière de santé, le riche s’en tirera physiquement et psychologiquement mieux que le pauvre. D’ailleurs, même en situation normale, c’est le cas :  on vit bien mieux et bien plus longtemps en haut de la pyramide sociale qu’en bas.
Cependant la question posée le plus souvent aujourd’hui sur les ondes est : « Comment vit-on le confinement ? »
Assez mal, visiblement. Et pourquoi donc ?  Eh bien sans doute parce que, pour la plupart des gens, abrutis qu’ils sont par le rythme effréné de la civilisation du progrès, ce qui est nécessaire pour éviter l’angoisse, c’est d’abord le travail qui agit comme une drogue, c’est la communication instantanée avec les réseaux, c’est le divertissement procuré par les médias et c’est l’évasion que permet le déplacement dans l’espace. Sur ce dernier point, il faut préciser que la simple excursion ne suffisant plus vraiment, selon le principe du « toujours plus », c’est le dépaysement aux antipodes  (très polluant).
Le problème des êtres humains « modernes », c’est que, pour la plupart, ils n’ont plus de vie intérieure : se retrouver seul dans le silence, à ne rien faire d’autre que méditer sans coach, gourou et autres exploiteurs, est tout simplement impensable. La culture de la solitude du lettré a presque disparu. Il faut du « réseau social », déblatérer blablater et caqueter à tout bout de champ avec n’importe qui en racontant, le plus souvent, n’importe quoi…
Les vidéos des téléspectateurs transmises par les médias le prouvent :  les gens trouvent, c’est vrai, le moyen de s’occuper, mais ils ressentent l’impérieux besoin de le montrer aux autres en se filmant, comme si faire ne suffisait pas, vivre ne suffisait pas, mais que l’objectif était de crier à la cantonade : « Hé !  Regardez ce que je fais, moi ! Comment je vis, moi ! ». Cela frise le morbide, non ? L’être humain, c’est vrai est un animal social, il a besoin des autres, oui, mais dans une certaine mesure. Nul besoin quand même d’être constamment les uns avec les autres, les uns par les autres et les uns sur les autres. En ce sens, il me semble que les mieux aguerris pour vivre le confinement sont à coup sûr les penseurs et les créateurs car penser et créer sont des activités solitaires. Certes, ces actes débouchent sur la production d’artefacts que l’on peut partager avec autrui, mais plus tard. Foin du direct, on est dans le différé !  Et là, c’est le hic ! En effet, l’une des caractéristiques majeures de notre modèle de société, qui n’a rien d’exemplaire, c’est la loi du « tout, tout de suite », le culte de l’instantanéité autour de l’autel du principe de plaisir. Dogme constamment martelé par la publicité privée et la propagande gouvernementale.  L’info doit vous parvenir dans la seconde, l’objet commandé dans la journée, la pizza dans le quart d’heure, le sms instantanément ! … Alors, quand le temps soudain s’étire, n’a plus de structure, se ralentit au point qu’on le sent passer, alors, c’est le désarroi…
Désarroi, anxiété, angoisse :  telles sont les effets secondaires du confinement actuel. Il faut y ajouter la colère.
Comment peut-on, en effet, garder la tête froide, son calme et son sang-froid quand on réfléchit un tant soit peu à la vraie raison du confinement ? Le manque de… tout. Car ce confinement n’aurait pas dû avoir lieu si les gouvernements avaient fait preuve d’une prévoyance raisonnable. La communauté scientifique sait depuis quelques décennies, et l’a rappelé à de nombreuses reprises, que l’humanité était exposée aux attaques des virus et autres micro-organismes. Plusieurs épidémies se sont déjà déclarées dans certaines régions du monde depuis une dizaine d’années. Il aurait donc fallu se préparer : produire des masques, des combinaisons, du matériel de protection personnelle ;  renforcer les systèmes de santé ;  financer les hôpitaux ;  valoriser les métiers de la santé, etc. Rien n’a été fait en ce sens, au nom d’un souci de rentabilité méprisable.
Soyons clairs ! Sur le plan sanitaire, notre état général est en réalité effrayant. Que se passerait-il en cas d’attaque bactériologique ?  Que se passera-t-il quand le prochain virus sera plus virulent et moins sélectif et tuera tous les individus sans distinction de sexe, d’âge et de classe sociale ?  Ce ne sera plus une récession, non, ce sera le déclin, voire la fin de notre civilisation. D’ailleurs, comme rien n’est vraiment inouï quand il s’agit de culture humaine, le scénario a déjà été envisagé par un certain Jack London dans un roman d’anticipation qu’il a publié en 1917 La Peste écarlate.
D’aucuns, qui liront cet article, me traiteront de Cassandre… J’assume entièrement ce titre. Cassandre prédisait le malheur et – si personne ne l’a écoutée – le malheur, lui, est bien advenu.
Ce dont il faut être conscient, c’est que, aujourd’hui, nous vivons un demi-mal : le virus ne tue pas trop et pas tout le monde. Nous sommes ralentis dans nos activités et l’économie mondiale va subir une récession… Mais pourquoi diable un certain ralentissement ne serait-il pas une bonne chose ? Tant sur le plan écologique que sociétal… Pourquoi ne pas nous donner le temps de la réflexion ?  Et quand je dis « nous », je ne désigne pas que le citoyen du monde lambda confiné dans sa bicoque, son appartement ou son taudis, mais aussi, et surtout, les gouvernants, les grands patrons, les capitaines d’industrie, les lieutenants de PME, les adjudants-chefs de l’artisanat et du commerce. Non mais, c’est pas fini ce potlatch, cette orgie de production, cette danse de Saint-Guy de la consommation, cet empiffrement à outrance, ce mal des ardents de la possession ? « La reprise… La reprise … La reprise ! » qu’ils arrêtent pas de répéter en sautillant, les excités du bénéfice. Mais la reprise de quoi ?  Du bousillage de la planète ?  Ah, mais non ! Vous ne croyez pas, Mesdames et Messieurs les Humains, qu’il est temps de nous calmer un peu et de devenir raisonnables, enfin, après ce million d’années d’ « évolution » ?  Enfin ! Un peu de tenue ! C’est la dernière fois ! Après, ce sera trop tard… L’espèce humaine n’est qu’une espèce parmi les autres… L’anthropocène ? L’anthropobscène, oui…  Mais toutes les ères ont une fin… Alors, l’ère de l’homme, pfff… !

                                                                                                                         Kynos

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